Désir & Fiorini
Si Franz Schubert avait fait le voyage de Carrefour la mort, il n'aurait pas résisté au battement obstiné du tambour vodou, ni à la langue verte du créole. Il aurait écrit ces Lieder qui sont là dans cet album. Enfin, possiblement. Au piano, Fabian Fiorini a désossé son jeu et les structures rythmiques Kongo, Dawomen ou Petwo pour les reconstruire en structures d'inspiration européenne aussi bien qu'avec le sens du temps présent qui définit la Black Music. Au chant, Renette Désir a ouvert des fenêtres dans son expression comme probablement aucune chanteuse haïtienne avant elle. Sa voix est un cadeau, mais ça ne suffit pas. Elle s'autorise la violence, la folie, la fuite de soi, selon ce que lui commandent les poèmes qu'elle emporte dans son chant. Car il y a l'essentiel des foudres et des joies d'Haïti dans les mots d'Inema Jeudi et James Noël. Le souvenir stupéfait du 12 janvier est là avec Tranbleman syèl et Echantiyon. Pour qui a visité Port-au- Prince, il ou elle retrouvera dans Ala vil l'énergie de toutes ces humanités qui courent sans fin en quête d'un tout petit peu de mieux. Parfois elles deviennent folles. Souvenirs d'un premier spectacle, All Africa (Max Roach) et Fleurette Africaine (Duke Ellington) chantent le rêve perdu des origines africaines, largement partagé par les descendants d'esclaves aux Amériques. Soufle Van, chanson traditionnelle magnifiée par Toto Bissainthe, c'est pareil. Entre le présent et cette nostalgie, il y a une mer immense, une traversée. Les tragédies n'en finissent pas. Yo Anpil, tiré et adapté de la pièce Eurea de In Koli Jean Bofane, évoque une autre terrible traversée : celle des réfugiés sur la Méditerranée, en cet instant. Et la mort frappe partout, mais tant qu'il y a de la vie, il y a de l'espoir. La force vitale de l'Amour malgré les bâtons dans les roues, c'est ce que dit Pos machan. S'effilochant en fin d'album, Krache lanmou nous donne droit aussi à un peu d'insouciance.